L’administration doit justifier des modalités de calcul des créances qu’elle réclame aux administrés (003)

 

La Cour administrative d’appel de Nancy a rendu une décision, sur le recours du Cabinet de Maître Ciaudo, particulièrement intéressante à un double titre, en ce que qui touche les droits procéduraux des justiciables, et s’agissant de leur droit d’apprécier les modalités de calcul des créances que l’administration leur réclame (CAA Nancy, 18 décembre 2020, n° 19NC01783, rubrique affaires gagnées par le Cabinet, rubrique droit administratif divers, n° 37).

 

Il est en effet particulièrement fréquent que l’administration émette un titre exécutoire à l’encontre de ses agents ou des administrés lorsqu’elle leur réclame le versement d’une somme d’argent. Cet acte administratif, comme son nom l’indique, est exécutoire de plein droit, ce qui implique que sa seule émission contraint son destinataire à régler les sommes qu’il doit à l’administration. Il s’agit d’un des pouvoirs les plus exorbitants de l’administration.

 

Le contentieux de ces actes s’avère tout aussi récurrent dans la mesure où la saisine du tribunal administratif est suspensive d’exécution, de sorte que le justiciable qui conteste la légalité d’un tel titre exécutoire peut demander au Tribunal de prononcer la décharge de l’obligation de payer mais, surtout, n’est pas tenu de s’acquitter de la somme réclamée par l’administration le temps que le juge administratif statue sur son recours.

 

Dans cette affaire, la Cour de Nancy a en premier lieu été amenée à garantir les droits procéduraux du justiciable en restreignant la possibilité pour le tribunal administratif de rejeter trop rapidement – par ordonnance et sans audience – lorsqu’il a, en vain, invité le requérant à produire un mémoire récapitulatif de toutes ses précédentes écritures.

 

Ce dispositif, prévu à l’article R 611-8-1 alinéa 1 du code justice administrative, permet au tribunal administratif d’imposer au justiciable qui a produit de nombreux mémoires devant lui de « rassembler » son argumentaire en un unique mémoire, et ce afin de faciliter son propre travail de lecture et d’analyse. Depuis le 1er janvier 2017 (entrée en vigueur du décret JADE du 2 novembre 2016), cette invitation à produire un mémoire récapitulatif est imposée à peine de désistement d’office. Dès lors, un requérant qui ne répondrait pas à l’invitation du tribunal voit son recours purement et simplement rejeté.

 

En l’espèce, le requérant était représenté par un autre avocat en première instance, lequel a été destinataire de cette invitation à produire un mémoire récapitulatif et a indiqué au requérant qu’il ne souhaitait plus représenter l’intéressé devant le juge… Le justiciable a alors écrit au tribunal en lui faisant part de cette situation, en demandant un délai pour trouver un autre avocat, tout en soulignant qu’il ne savait pas ce que constituait un « mémoire récapitulatif ». Pour toute réponse, le tribunal a rejeté son recours.

 

La Cour censure la décision du premier juge en indiquant qu’il lui revenait de répondre à la demande de délai supplémentaire formulée par le requérant, à peine de méconnaître le droit au recours effectif, garanti par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (article 16) ainsi que la Convention européenne des droits de l’homme (articles 6§1 et 13).

 

En second lieu, la Cour applique une jurisprudence constante selon laquelle, lorsque l’administration émet un titre exécutoire, elle doit préciser dans l’acte qu’elle édicte les bases de la liquidation de la créance dont elle réclame le paiement (CE, 11 janvier 2006, n°272216, Rec. T. ; CAA Bordeaux, 5 mars 2018, n°16BX00874). En d’autres termes, l’administration doit préciser clairement au destinataire du titre exécutoire à quoi correspond exactement la somme dont elle réclame le paiement.

 

En l’espèce, la créance réclamée par l’administration était constituée de loyers impayés, dont le nombre et le montant était précisé. En revanche, l’administration s’était contentée d’évoquer des « charges » annexes, sans spécifier à quoi le montant réclamé correspondait.

 

La Cour sanctionne l’illégalité de l’acte administratif attaqué et prononce la décharge de l’obligation de payer la somme réclamée par l’administration. Elle se montre ainsi protectrice du droit des administrés de connaître précisément les motifs pour lesquels l’administration réclame le paiement d’une somme d’argent. Cette décision doit être saluée en ce qu’elle révèle le juge administratif comme un garant des droits des administrés.

 

Le Cabinet de Maître Ciaudo se tient à la disposition des administrés se trouvant dans une situation similaire afin de défendre leurs intérêts.

Alexandre Ciaudo

Me Alexandre Ciaudo

Cabinet de Maître Ciaudo | Avocat Ciaudo